mercredi 9 mai 2012

BERANGERE MAXIMIN : No one is an Island (Sub Rosa)


Personne n'est une île. Et Bérangère Maximin, qui a passé son enfance sur celle de la Réunion avant de rejoindre Paris, le sait sans doute mieux que tout le monde. Son histoire musicale est ainsi jalonnée de rencontres diverses au fil de travaux dans les domaines du théâtre, de la danse, du cinéma ou des pièces radiophoniques et de collaborations, sur scène la plupart du temps. Un pied dans l'électronique, l'autre dans l'acousmatique, un oeil sur la scène impro et l'autre sur la composition rigoureuse et le travail vocal, Bérangère Maximin marche sur les frontières, n'en traversant aucune et ne s'inscrivant jamais durablement dans un espace défini. Pour son second album après Tant que les Heures passent sur Tzadik, elle rejoint la série des Framework de Sub Rosa (où elle succède, entre autres, à Cristian  Vogel, Francisco Lopez ou Ulrich Krieger) avec un No one is an Island marqué par l'omniprésence des collaborations, principalement avec des guitaristes, puisque, à l'exception notable de Rhys Chatham, ses trois autres partenaires (Christian Fennesz, Richard Pinhas et Frédéric D. Oberland) y officient tous à la six-cordes. Confessant que ces collaborations ont changé sa manière d'écouter et de composer, Bérangère Maximin leur octroie ici davantage de place que ce que l'on aurait imaginé, laissant ainsi largement à Frédéric D. Oberland et Richard Pinhas la place de choix des titres auxquels ils participent, amenant à un résultat très mélodique pour le premier et à une coloration nettement plus bruitiste dans le cas du vétéran. Plus présente dans sa collaboration avec Fennesz, qu'elle transforme hélas en confrontation un peu vaine sur un «Knitting in the Air » où leurs univers, la guitare de l'autrichien et sa voix à elle, cherchent à s'épuiser mutuellement, elle arrive, avec les même ingrédients, à faire fonctionner à merveille leur second titre commun, « Bicéphale Ballade ». Enfin, reste au seul non-guitariste du disque le soin de sortir du lot, ce que Rhys Chatham parvient immédiatement à faire à travers un saxophone utilisé dans toute ses dimensions et peu à peu grignoté par les machines de Maximin, victorieuses au finish de ces espaces partagés. Inégal, en ce sens qu'il ne laisse pas pleinement percer la personnalité de Bérangère Maximin face à ses prestigieux invités, No one is an Island, n'en demeure cependant pas moins un bel exemple de tentative de fusions d'univers, et c'est avec attention que l'on suivra l'impact que ces collaborations auront eu sur le parcours futur de la jeune compositrice.  

MONTY ADKINS : Four Shibusa (Audiobulb Records)


Depuis un an, il est devenu difficile d'imaginer le Japon sans y associer un sentiment de perte et de catastrophe, sans que vienne s'interposer entre nous et le pays les images terribles associées au tsunami et à l'après Fukushima. Paradoxalement, en voulant traiter du concept japonais de Shibusa, qui met en avant la beauté des choses de la vie quotidienne, Monty Adkins parvient à rentrer en résonance avec ces interférences historiques, et à en tirer des ambiances aussi dépouillées que positives. Pas de pathos sur un titre comme « Sendai Threnody », qui aurait pu virer à la mélodie tire-larmes mais qui, entre les clarinettes sobres de Jonathan Sage et Heather Roche et de subtils éléments électroniques, évoque davantage le soleil revenu sur les ruines que les moments apocalyptiques qui ont précédé. Ailleurs sur l'album, Adkins développera ce sentiment de tranquille renaissance sur trois autres titres où les mélodies liquides se fondent dans des structures précises et délicates, où l'ambient peut ouvrir sur des passages de glitches plus âpres (le splendide « Kyoto Roughcut ») pour mieux céder la place à des sonorités organiques. Travail d'orfèvre, qui confirme tout le bien que l'on avait pensé du précédent album de Monty Adkins, fragile.flicker.fragment, Four Shibusa est un grand moment d'osmose entre l'électronique et l'humain, entre le spirituel et le quotidien.  

STRINGS OF CONSCIOUSNESS : From beyond Love (Staubgold)


Depuis sa création, le collectif marseillais Strings of Consciousness a toujours été une aventure ouverte. Ouverte aux participations et collaborations, qui se multiplient d'album en album. Ouverte aux fusions musicales parfois hasardeuses, le jazz, le rock et la musique expérimentale se répondant sans cesse, les machines et l'acoustique formant un terreau dense pour la voix. Ouverte à la surprise et à l'inattendu, qui guette à chaque détour (et ils sont nombreux) des morceaux. Pour ce second volet d'une trilogie inaugurée voilà cinq ans par The Moon is Full, Philippe Petit et Hervé Vincenti se sont entourés d'un casting vocal d'exception pour prêter corps aux multiples facettes de From Beyond Love. Ainsi, s'il revient à Julie Christmas (Made Our of Babies ) d'ouvrir l'album de ses intonations björkiennes sur des atmosphères rock obscurcies de violoncelle, Andria Degens (Current 93) joue sur la carte d'une lounge psychédélique virant au drame pour « Sleepwalker », tandis que Graham Lewis (Wire) se pose tout en douceur et en distinction sur les tempos jazzy de « Bugged ». Les choses se refroidissent carrément avec un « Finzione » porté par la voix lointaine de Cosey Fanni Tutti (Throbbing Gristle) surmontant un tapis de craquements et de dissonances cosmiques, avant que n'arrive la pièce de résistance de l'album, les dix-neuf minutes de « Hurt is Where the Home is » où les deux voix de Lydia Lunch et Eugene Robinson (Oxbow), plus proches du spoken words que du chant, déroulent un drame urbain sur un fond discret de piano, guitare, saxophone, percussions et machines. Musique de film noir engendrant ses propres images, From Beyond Love s'écoute et se regarde avec la même certitude : celle d'avoir trouvé un écran pour projeter nos nuits blanches.

STEVE PETERS + STEVE RODEN : Not a Leaf remains as it was (12k)


Pour la plupart des compositeurs oeuvrant dans le champ des musiques minimalistes, la voix est une donnée difficilement approchable. Trop présente, trop versatile, elle est le plus souvent délaissée au profit d'ambiances purement instrumentales. Les deux artistes californiens Steve Peters et Steve Roden ne font pas exception à la règle, et s'ils se sont finalement décidés à poser leurs voix sur Not a Leaf remains as it was, c'est au terme d'un lent processus qui les a d'abord vu faire office d'arrière plan vocal pour la chanteuse Anna Homler il y a plus de quinze ans avant de chercher par tous les moyens à dépouiller la voix de ses attributions pour un éventuel album chanté. Il leur fallait tout d'abord écarter le problème du sens, des mots, et puiser ailleurs leur matériau sonore. C'est donc sur une série de poèmes japonais écrit par des moines sur leur lit de mort que le duo a donc fixé son choix, sachant que ni l'un ni l'autre ne parle japonais, et que ce sont des fragments du texte, sortis de leur contexte, traduits ou non, qui ont été sélectionnés et « chantés » par Peters et Roden lors d'un enregistrement en résidence de trois jours lors duquel ils ont – autre contrainte auto-imposée – choisi de ne pas recourir aux instruments électroniques. Il en résulte un album incroyablement fragile, presque miraculeux, où chaque mouvement, si infime soit-il prend de l'importance. Ici, les voix flottent en apesanteur, semblant éveiller sur leur passage des mélodies fines où un orgue, une guitare, un mélodica, des craquements de feuilles ou des percussions boisées émergent lentement du silence avant d'y retourner. Le temps d'un souffle, tout se pose, puis s'évanouit... Cela faisait longtemps qu'on avait pas entendu sensation plus pure.