A l’instar d’un nombre sans cesse
croissant d’explorateurs sonores, c’est à la guitare électrique
que se consacre essentiellement le compositeur et architecte
néerlandais Zeno van den Broek sous l’identité de Machinist.
Mais, et c’est d’ailleurs souvent le cas, ce ne sont pas les
capacités mélodiques de la guitare qui l’intéressent, mais bien
plutôt ses possibilités texturales, son affinité avec le drone.
Sur Of What Once Was, Machinist réunit deux longues pièces
(respectivement de plus de vingt et trente minutes) unifiées par
cette source instrumentale quasi unique. Avec « Mono Tone in
D. », il rend ainsi un hommage à la « Symphonie
Monotone » d’Yves Klein, une performance au cours de laquelle
le plasticien avait fait jouer une note unique et soutenue à un
orchestre de chambre pendant vingt minutes, avant de commander une
durée égale de silence. Partant d’un principe proche, Machinist
construit donc un titre sur une note unique, où seules les
variations de résonance et de durée viennent agiter la surface,
créer des micro-rythmes au sein de la pièce. Moins radicale, et
nettement moins monotone que l’œuvre initiale de Klein, « Mono
Tone in D » n’en reste pas moins un superbe moment de
(dé)composition autour de la guitare. Improvisée en live, « Of
What Once Was », seconde pièce qui donne son titre à l’album
voit Zeno van den Broek agrandir sa palette puisqu’il ajoute à la
guitare divers fields recordings et sons informatiques, et utilise
principalement son instrument fétiche comme une caisse de résonance
à travers laquelle transitent ces nouveaux éléments. Evidemment
plus adapté au live, où les notions de spatialité et de
physicalité prennent tout leur sens, « Of What Once Was »
n’en demeure pas moins, réduit au seul CD, un vibrant paysage
sonore se construisant peu à peu autour de nappes liquides et de
collines grisâtres et érodées, frappées par le martèlement de la
pluie, qui vont même jusqu’à parfois évoquer les climats
mortifères du dark-ambient. Une œuvre exigeante, qui demande des
conditions particulières (d’isolement, de météo, d’hygrométrie,
sans doute) pour se révéler pleinement, mais qui offre dès lors un
moment d’une grande richesse.
mardi 6 mars 2012
BYETONE : Symeta (Raster-Noton)
S’il
est sans doute, du trio fondateur de Raster-Noton, qu’il a
formé avec Carsten Nicolai et Frank Bretschneider, celui qui est le
moins réticent à reconnaitre l’influence de la techno sur son
travail, Olaf Bender n’avait sans doute jamais été aussi loin
dans son appropriation / hommage aux formes du beat séquencé que
sur Symeta. Au lieu de le distiller en minuscules éclats comme il
a pu le faire par le passé, il lui donne ici la place centrale,
pratiquement la seule place d’ailleurs. Qu’il compose un diptyque
énergique et rétro en diable qui donne l’impression d’avoir
plongé dans des années 80 alternatives (« Topas » et «
T-E-L-E-G-R-A-M-M »), s’empare du minimalisme berlinois en vogue
pour lui redonner des couleurs qu’il n’a plus depuis quinze ans
(« Opal ») ou qu’il tutoie l’EBM froide de la fin des années
80 lors d’une implacable trilogie (« Helix » / « Black Peace »
/ « Golden Elegy ») s’achevant sur un dub-industriel porté par
la harangue du ténor Jan Kummer, Byetone parvient à chaque fois à
s’en tirer haut la main sans y perdre au passage sa spécificité.
Emporté par les rythmes puissants, les basses ronflantes, les
attaques métalliques et les montées époustouflantes, on ne peut
que plonger à pieds joints dans cet album où le corps, pour une
fois, commande à l’esprit.
YVES DE MEY : Counting Triggers (Sandwell District)
Pour
son second album, après un remarquable (trop court) Lichtung, qui
nous proposait il y a trois ans la bande originale d'un spectacle de
danse contemporaine, Yves De Mey semble avoir décidé de brouiller
les pistes. En changeant de label, tout d'abord, optant pour Sandwell
District, dont l'esthétique, bien que décalée, soit globalement
tournée vers la techno et ses dérivations. En choisissant le vinyle
ensuite, mais pour mieux jouer de ses contraintes, chaque disque de
cette double livraison comportant une face 33 tours et une face 45
tours. Ces chausse-trappes surmontées, nous voilà prêts à
apprécier Counting Triggers pour ce qu'il est : un superbe
exercice de répétitivité minimale qui rappelle souvent les
ambiances développées par Raster-Noton ou les sideprojects bouclés
de Mika Vainio. Pourtant, ce qui sépare De Mey de ces références,
c'est sans doute la nature de ses sources, puisque l'album a été
réalisé sur des synthétiseurs analogiques et que les sonorités
digitales y sont des plus discrètes. Organiques et hypnotiques, les
six titres de Counting Triggers déroulent des constructions où
les attaques de micro-éléments (« Particle Match »),
côtoient les vastes espaces architecturés de résonances
(« Whispering Strokes »). Une future référence à
découvrir de toute urgence !
PHILIPPE PETIT : Oneiric Rings on Grey Velvet (Aagoo)
Premier
volet d'une trilogie en cours intitulée
« Extraordinary Tales
of a Lemon Girl », Oneiric Rings on a Grey Velvet est pour
Philippe Petit l'occasion de se frotter une nouvelle fois à ses
influences extra-musicales qui, de David Lynch à Shinya Tsukamoto
n'ont de cesse de fournir le terreau sur lequel Philippe Petit
fantasme et réinvente un monde qui, finalement, n'appartient qu'à
lui. Ici, c'est à James Joyce, Lewis Carroll et aux gialli italiens
qu'il rend hommage, livrant la B.O des aventures d'une Alice shootée
aux hallucinogènes qui n'aurait traversé le miroir que pour se
retrouver poursuivie par un tueur ganté et cagoulé dans un décor
de rideaux rouges et de lumières blafardes. Comme toujours, il y a
du drame, chez Philippe Petit, et la fille-citron du titre va en voir
de toutes les couleurs dans des constructions menaçantes et
inventives qui tiennent autant de la fantaisie victorienne décalée
(mais après tout, le véritable Lewis Carroll ne nourrissait-il pas
lui-même des goûts douteux envers les petites filles ?) que de la
musique de film d'horreur, et nous entrainent dans un train fantôme
qui ne s'arrête jamais et où tous les visiteurs (sauf vous ?)
pourraient bien être morts. On a beau chercher, il n'y a guère
d'équivalent à un album comme Oneiric Rings on Grey Velvet dans
la production actuelle même si, par moments, la démarche de
Philippe Petit pourrait faire penser à celle de Nurse With Wound
dans ses moments les plus sérieux ou au Manorexia de J.G. Thirlwell.
Reste à espérer, pour la Lemon Girl coincée dans ce cauchemar, que
les deux volumes à venir lui offriront un certain répit, même si
on aurait tendance à souhaiter – pour notre propre plaisir sadique
– tout le contraire !
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